Le droit pénal de l’ennemi, est un concept juridique explicité par Jaume Alonso-Cuevillas, l’avocat de Carles Puigdemont, dans son livre « 1 judici (politic) i 100 preguntes »[1] (1 procés (politique) et 100 questions) (p.59). Son livre est sous-titré « Dret i procès penal per a no juristes » ; il y explique donc sous formes de questions réponses, avec un grand sens de la pédagogie, les arcanes du système judiciaire espagnol, et ne laisse rien de côté. Il prend ses exemples, chaque fois que c’est possible, dans l’actualité de ces dernières années et il montre très clairement comment cette complexité -qui cumule un système central avec des systèmes autonomiques- permet d’incriminer presque à la carte et à loisir l’indépendantisme catalan. Je ne peux que renvoyer à cet ouvrage pour celles et ceux qui sont à la l’aise avec le catalan écrit. Cependant cela vaut la peine, pour bien comprendre l’esprit qui anime l’espagnolisme néo-franquiste de la répression, de se pencher sur ce concept.
Auparavant il faut préciser que c’est un concept qui vient de la philosophie du droit pénal et qu’il a été formulé pour la première fois par Günther Jakobs ,l’un des plus prestigieux juristes allemands. Il permet de caractériser les situations exceptionnelles dans lesquelles un Etat cherche à punir et à réduire au silence des dissidents, en leur appliquant un droit pénal exceptionnel qui garde les apparences du droit pénal commun. Il a été implémenté au cas qui nous occupe par un autre avocat catalan Benet Salellas Vilar dans son ouvrage « Jo acuso, la defensa en judicias polítics » (J’accuse, la défense dans les procès politiques) dont on voit bien l’inspiration première. Voici ses conclusions reprises par l’auteur de ce livre de plus observateur impliqué des contorsions juridiques du Tribunal Suprême.
- Au lieu du droit pénal du fait concret qui se pratique dans une société démocratique, c’est un droit qui se centre sur ce que pourrait faire la personne ennemie. A partir d’une analyse du passé on construit un futur déclaré probable, sinon possible.
- Cela implique une perte généralisée des droits, des libertés et des garanties d’avoir un procès équitable.
- Les peines prévues pour ces actes -qui ne sont pas commis- sont d’une gravité et d’une disproportion telles qu’elles débordent toutes les pondérations et limites que l’on trouve ordinairement dans le droit pénal.
Le juges du Suprême seraient donc des sortes de « précogs », ces êtres humains mutants, du film Minority Report[2] qui peuvent prédire les crimes à venir grâce à leur don de précognition et déclencher ainsi l’action préventive de la police. En fait, ces juges « exceptionnels » se prononcent sur des signes à partir desquels ils infèrent des conséquences pratiques possibles qui sont autant d’infractions, délits ou crimes qui figurent dans le code pénal. C’est exactement le contraire du pragmatisme qui infère la signification d’un concept à partir des actes commis qu’il a inspiré. Celui-ci se conjugue au temps présent ou passé ; celui-là au temps futur (hypothétique), c’est le jugement d’un futurible[3] qu’il énonce à l’encontre d’ennemis politiques du présent. Rébellion, sédition peuvent être invoqués à partir de paroles ou d’écrits ou encore d’actes tout à fait ordinaires. Au cours du procès on a même porté à charge des « regards hostiles » et du liquide-vaisselle répandu sur le sol en vue de provoquer les glissades des gardes civils après la casse des portes d’une école où l’on votait le 1er octobre 2017 !
La conclusion ne fait pas de doute : le procès contre les leaders indépendantistes entre bien dans la catégorie des procès politiques et doit être dénoncé comme tel.
C’est d’ailleurs à cette conclusion qu’est arrivé le groupe de travail des experts de l’ONU sur les Droits de l’Homme[4] dans le monde qui se sont penchés sur cette justice d’exception.
[1] SIMBOL Editors, ISBN 978-84-15315-61-2
[3] Futurible : « État (d’un être ou d’une chose) tel qu’on peut envisager qu’il sera dans le futur; prévision de ce que sera (un être ou une chose). » (CNTRL)
[4] Groupe de Travail sur la Détention Arbitraire, avis officiel n°6/2019.Le droit pénal de l’ennemi
Le droit pénal de l’ennemi, est un concept juridique explicité par Jaume Alonso-Cuevillas, l’avocat de Carles Puigdemont, dans son livre « 1 judici (politic) i 100 preguntes »[1] (1 procés (politique) et 100 questions) (p.59). Son livre est sous-titré « Dret i procès penal per a no juristes » ; il y explique donc sous formes de questions réponses, avec un grand sens de la pédagogie, les arcanes du système judiciaire espagnol, et ne laisse rien de côté. Il prend ses exemples, chaque fois que c’est possible, dans l’actualité de ces dernières années et il montre très clairement comment cette complexité -qui cumule un système central avec des systèmes autonomiques- permet d’incriminer presque à la carte et à loisir l’indépendantisme catalan. Je ne peux que renvoyer à cet ouvrage pour celles et ceux qui sont à la l’aise avec le catalan écrit. Cependant cela vaut la peine, pour bien comprendre l’esprit qui anime l’espagnolisme néo-franquiste de la répression, de se pencher sur ce concept.
Auparavant il faut préciser que c’est un concept qui vient de la philosophie du droit pénal et qu’il a été formulé pour la première fois par Günther Jakobs ,l’un des plus prestigieux juristes allemands. Il permet de caractériser les situations exceptionnelles dans lesquelles un Etat cherche à punir et à réduire au silence des dissidents, en leur appliquant un droit pénal exceptionnel qui garde les apparences du droit pénal commun. Il a été implémenté au cas qui nous occupe par un autre avocat catalan Benet Salellas Vilar dans son ouvrage « Jo acuso, la defensa en judicias polítics » (J’accuse, la défense dans les procès politiques) dont on voit bien l’inspiration première. Voici ses conclusions reprises par l’auteur de ce livre de plus observateur impliqué des contorsions juridiques du Tribunal Suprême.
- Au lieu du droit pénal du fait concret qui se pratique dans une société démocratique, c’est un droit qui se centre sur ce que pourrait faire la personne ennemie. A partir d’une analyse du passé on construit un futur déclaré probable, sinon possible.
- Cela implique une perte généralisée des droits, des libertés et des garanties d’avoir un procès équitable.
- Les peines prévues pour ces actes -qui ne sont pas commis- sont d’une gravité et d’une disproportion telles qu’elles débordent toutes les pondérations et limites que l’on trouve ordinairement dans le droit pénal.
Le juges du Suprême seraient donc des sortes de « précogs », ces êtres humains mutants, du film Minority Report[2] qui peuvent prédire les crimes à venir grâce à leur don de précognition et déclencher ainsi l’action préventive de la police. En fait, ces juges « exceptionnels » se prononcent sur des signes à partir desquels ils infèrent des conséquences pratiques possibles qui sont autant d’infractions, délits ou crimes qui figurent dans le code pénal. C’est exactement le contraire du pragmatisme qui infère la signification d’un concept à partir des actes commis qu’il a inspiré. Celui-ci se conjugue au temps présent ou passé ; celui-là au temps futur (hypothétique), c’est le jugement d’un futurible[3] qu’il énonce à l’encontre d’ennemis politiques du présent. Rébellion, sédition peuvent être invoqués à partir de paroles ou d’écrits ou encore d’actes tout à fait ordinaires. Au cours du procès on a même porté à charge des « regards hostiles » et du liquide-vaisselle répandu sur le sol en vue de provoquer les glissades des gardes civils après la casse des portes d’une école où l’on votait le 1er octobre 2017 !
La conclusion ne fait pas de doute : le procès contre les leaders indépendantistes entre bien dans la catégorie des procès politiques et doit être dénoncé comme tel.
C’est d’ailleurs à cette conclusion qu’est arrivé le groupe de travail des experts de l’ONU sur les Droits de l’Homme[4] dans le monde qui se sont penchés sur cette justice d’exception.